Merci la Switch : d'une révolution hybride à un phénomène mondial
Sortie le 3 mars 2017, la Nintendo Switch s'est rapidement imposée comme un compagnon incontournable : son côté hybride pratique a rapidement laissé place à une console au grand coeur, avec un catalogue immense pour plaire à tous. Revenons sur son histoire.
Dossier
La genèse d’une console hybride révolutionnaire
Après la Wii U dont le destin est scellé en moins de cinq ans, Nintendo repense son approche et imagine une console combinant le meilleur de ses deux univers : les consoles de salon d'un côté et les consoles portables de l'autre. Ce projet ambitieux, alors connu sous le nom de code projet NX, est porté par la vision de Satoru Iwata de fusionner les plateformes de jeu de Nintendo afin de concentrer les efforts de développement sur une seule machine. Lors de la présentation officielle, Yoshiaki Koizumi – l’un des artisans de la console, a expliqué que la Switch hérite de 15 ans d’innovations Nintendo : la portabilité des consoles GB et DS, le motion-gaming de la Wii et l’écran-tablette de la Wii U sont réunis dans un seul produit.Cette idée dingue pour l'époque d’une console « tout-en-un » capable de passer instantanément d’un usage sédentaire à nomade très simplement va devenir la marque de fabrique de la Switch, justifiant pleinement son nom (“to switch” signifiant basculer d’un mode à l’autre). Contrairement à la Wii U qui n'a pas été comprise par le public comme étant une nouvelle console mais a d'abord passé pour un accessoire de la Wii, le nouveau nom ne laisse guère de doute.
Concrètement, la Nintendo Switch ressemble à une tablette dotée d’un écran 6,2 pouces, à laquelle on peut attacher ou détacher deux mini-manettes que Nintendo baptise les Joy-Con. Cette conception permet de jouer de multiples façons : en mode TV sur grand écran via un dock en détachant si besoin les Joy-Cons, en mode portable classique en gardant les Joy-Cons connectés à la console, ou en mode sur table en posant la console et en prenant les Joy-Con en mains.
Cette approche répond aux limitations de la Wii U qui imposait de rester à quelques mètres de la base avec son écran : désormais, tout le processeur de la console est embarqué dans l'unité qui comporte l’écran. Le joueur est ainsi libéré délivré de toute attache, la Switch apparaît comme l’aboutissement d'une philosophie que Nintendo clame depuis des années : innover dans les usages plutôt que de courir après la course à la puissance brute. Pari risqué, certes, mais la suite montrera qu’il était gagnant.
Un lancement retentissant et un succès quasi-immédiat
Le 3 mars 2017, la Nintendo Switch sort mondialement avec un enthousiasme rare au sein des joueurs les plus passionnés, qui avaient compris depuis longtemps que la console allait être portée par un jeu en particulier, alors que les détracteurs soulignaient plutôt la pauvreté du catalogue de lancement de la console.Les critiques saluent en effet très vite le concept novateur de la console et la qualité des premiers jeux, tandis que les joueurs se rendent de plus en plus nombreux en magasin. Le titre de lancement The Legend of Zelda: Breath of the Wild est précisément le jeu qu'il fallait pour lancer la console car sans ce Zelda extraordinaire au line-up, Nintendo aurait pu risquer “un accident industriel” tant le reste du catalogue de départ était maigre.
Fort heureusement, le pari est remporté : les ventes démarrent sur les chapeaux de roue et dépassent toutes les attentes. Dès le mois de mars, Nintendo est euphorique face à l’accueil réservé à sa nouvelle machine. Initialement prudente avec un objectif de 8 millions d’unités sur la première année fiscale, la firme double rapidement ses prévisions de production, visant désormais 16 millions de Switch vendues en un an.
Les ruptures de stock deviennent légion dans de nombreuses régions du monde, rappelant les heures glorieuses de la Wii à sa sortie. En moins de 10 mois, la Switch s’écoule à plus de 10 millions d’exemplaires, une performance qui vient déjà faire oublier le score de sa malheureuse prédécesseure la Wii U dont les ventes au total ne dépasseront pas les 13.56 millions d'exemplaires. Ce concept hybride a su convaincre les consommateurs, des familles aux joueurs nomades, en réconciliant deux façons de jouer qui étaient jusqu’alors bien distinctes avec deux gammes de produits différentes. Nintendo réalise aussi un tour de force en sortant de façon rapprochée des titres majeurs tout au long de 2017 pour maintenir l’intérêt : après Zelda viennent Mario Kart 8 Deluxe, Splatoon 2 puis Super Mario Odyssey, installant la Switch comme LA console à posséder cette année-là en alternant nouveautés extraordinaires, suites bienvenues et remakes opportuns.
Une Switch Lite et une Switch OLED, mais pas de Switch Pro
Face à l’adoption massive de la Switch, Nintendo va chercher à élargir encore son public en déclinant sa console en différents modèles. D'ailleurs, on se souvient que les premières rumeurs sur une possible révision hardware de la console sont arrivée assez vite une fois la console sortie. Avec le recul, il est même possible qu'on parlait en fait déjà de la Switch 2, mais pour l'heure, on pense plutôt à une version "Pro" de la console.En septembre 2019, c'est finalement la Nintendo Switch Lite qui fait son apparition. Cette version allégée et uniquement portable de la console se distingue par ses Joy-Con attachés (non détachables) et l’absence de mode TV – impossible de la connecter à un téléviseur. Si certains regrettent que la Lite rompe avec le concept même de « switch » en sacrifiant le jeu sur grand écran et les vibrations HD des manettes, beaucoup y trouvent leur compte : la console est moins chère, plus compacte, elle séduit donc de nouveaux joueurs intéressés uniquement par l’aspect nomade, sert de console d’appoint dans bon nombre de foyers, et permet à des familles d’équiper chaque enfant à moindre coût. La Switch Lite est proposée sous plusieurs coloris qui ne passent pas inaperçus et font mouche auprès de sa cible : elle augmente le parc de machines, renforce la présence de Nintendo sur le segment portable. On peut alors oublier la Nintendo 3DS, le public a accepté que l'offre gaming de Nintendo soit rassemblée sous une seule marque : la Switch.
En 2021, alors que la Switch entame sa cinquième année d'existence, les rumeurs d’un modèle “Pro” plus puissant commencent à agiter la communauté. Nintendo prend tout le monde de court en juillet de la même année en dévoilant à la place la Nintendo Switch – modèle OLED. Ici, pas de gain de puissance, mais une révision centrée sur le confort de jeu : l’écran de la console passe à 7 pouces et adopte la technologie OLED, offrant des couleurs éclatantes et un contraste infini.
Dès les premiers essais, la différence de qualité d’affichage saute aux yeux – surtout en extérieur où la lisibilité s’améliore nettement. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une “Switch 2”, cette évolution apporte un véritable plus à l’expérience portable et c'est avec cette nouvelle version que Nintendo espère maintenir l'attention des joueurs avec sa console. Big N profite de cette petite révision pour corriger certains défauts du design initial : le support arrière de la console, frêle languette sur la première version, est remplacé par une béquille large et robuste occupant toute la longueur, idéale pour jouer en mode sur table à deux joueurs sans risque de chute. De même, le dock d’accueil est amélioré avec l’ajout d’un port Ethernet intégré pour une connexion en ligne plus stable. Commercialisée en octobre 2021, la Switch OLED connaît un excellent démarrage, beaucoup de possesseurs du modèle d’origine sautant le pas pour profiter de ces améliorations visuelles et ergonomiques.
Avec ces deux déclinaisons (Lite et OLED) aux côtés du modèle standard, Nintendo a su pérenniser le cycle de vie de sa console en touchant différents profils de joueurs. On passe d'une console par foyer à une console par joueur du foyer, et ça, ça change tout dans le cycle de vie de la console : à chacun sa Switch !
Un catalogue de titres emblématiques
Au-delà du hardware, le succès durable de la Nintendo Switch s’explique par l’évolution de son catalogue de jeux, qui s’enrichit de manière intelligente et parfois terriblement chanceuse année après année. Dès 2017, on l'a vu, Nintendo frappe fort au lancement avec Breath of the Wild, salué comme l’un des meilleurs épisodes de Zelda jamais créés, suivi quelques mois plus tard de Super Mario Odyssey, qui marque le retour triomphal de la mascotte dans un univers 3D ouvert. Ces titres fondateurs qui sortent l'année même du lancement dela console donnent le ton d’une ludothèque qui va mêler nouvelles itérations de licences cultes et expériences inédites.En 2018, Super Smash Bros. Ultimate réunit toute l’histoire de la franchise dans un crossover absolument gigantissime, devenant rapidement un incontournable pour les fans de combat. L’année suivante, Pokémon Épée et Bouclier marque l’arrivée de la célèbre série de RPG sur console de salon/portable hybride, tandis que Fire Emblem: Three Houses ou Luigi’s Mansion 3 diversifient les genres.
En mars 2020, au cœur de la pandémie, Animal Crossing: New Horizons devient un pur phénomène de société — quelle drôle d'époque. Son île paisible et son gameplay communautaire séduisent des dizaines de millions de joueurs confinés chez eux. Le jeu bat des records absolument incroyables, notamment au Japon où il s’est écoulé à plus de 8 millions d’exemplaires en physique, détrônant Pokémon Rouge/Vert vieux de 30 ans comme plus grosse vente de l’histoire dans l’archipel.
Après huit ans, le bilan ludique de la Switch est impressionnant : plus de 1,389 milliards de jeux vendus cumulés, avec un Top 5 composé de Mario Kart 8 Deluxe, Animal Crossing: New Horizons, Super Smash Bros. Ultimate, The Legend of Zelda: Breath of the Wild et Super Mario Odyssey, chacun devenu un classique instantané et tous vendus à plusieurs dizaines de millions d'exemplaires. Chacun. Nintendo a également multiplié les contenus additionnels et mises à jour pour faire vivre ses titres sur le long terme (de nouvelles arènes dans Splatoon, un Pass de circuits additionnels pour Mario Kart 8 Deluxe, etc.). Il n'en fallait pas plus pour maintenir l’engagement des joueurs et les garder sur Switch en dépit d'un hardware vieillissant.
Le résultat, c’est une console qui aura vu naître quelques-uns des jeux les plus marquants de sa génération. En 2023 encore, alors que la Switch Pro est sur toutes les lèvres ou presque, des nouveautés comme The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom et Super Mario Bros. Wonder trouvent encore le chemin de millions de foyers en un temps record. Le public, 6 ans après, est resté fidèle et réceptif à de nouveaux jeux sur Switch. Dans ce contexte, pourquoi se presser à sortir un successeur ?
Des records de ventes et un impact sur le secteur du jeu vidéo
Fort de ce catalogue et de son concept, la Nintendo Switch a enregistré des chiffres de vente vertigineux, entrant dans le cercle fermé des consoles les plus vendues de l’histoire. Début 2025, Nintendo annonce avoir franchi le cap des 152 millions de Switch écoulées. La console se hisse ainsi tout près du record de la Nintendo DS (154 millions) et talonne l’intouchable PlayStation 2 (155 millions).Autrement dit, en l’espace de 8 ans, la Switch a dépassé des légendes comme la Wii (101 millions), la Game Boy (118 millions) ou la PS4... Quand on vous dit que la Switch est un vrai phénomène planétaire... Les recettes suivent la même courbe exponentielle, portées par les ventes de jeux first-party mais aussi par un essor du dématérialisé (ventes sur l’eShop, abonnements au service en ligne, etc.). A chaque publication de résultats financiers, les chiffres donnent le tournis, et le destin s'en mêle en 2023 avec le film d'animation Super Mario Bros qui pulvérise tous les records et relance encore l'intérêt du public pour la console.
Au-delà des chiffres bruts, l’influence de la Switch sur l’industrie vidéoludique est indéniable. En proposant une nouvelle manière de jouer, flexible et nomade, Nintendo a bouleversé les habitudes des joueurs et bousculé les standards du marché. Là où nombre d’observateurs pensaient que l’ère des consoles portables dédiées touchait à sa fin (face aux smartphones notamment), la Switch a prouvé qu’une approche hybride pouvait non seulement trouver son public, mais aussi redéfinir les attentes en matière de game design.
Surtout, Nintendo a su faire de sa machine plus qu’une console : un véritable phénomène culturel. La Switch a conquis un public familial tout en ralliant les gamers, elle s’est invitée dans les cours de récréation comme dans le sac des voyageurs, et a bénéficié d’un bouche-à-oreille exceptionnel. Cela ne vous rappelle rien ? A nous, cette situation rappelle la Wii de 2006, autant dire que pour Nintendo, c’est une formidable revanche après l’échec de la Wii U, et la confirmation qu’innover sur l’usage et l’accessibilité peut porter ses fruits, bien au-delà de la course à la puissance à laquelle se livrent certains autres constructeurs.
Vers la Switch 2 : la fin d’un cycle... et d'une époque
En 2025, la Nintendo Switch souffle ses huit bougies et affiche une sacrée forme : cette longévité exceptionnelle témoigne de son succès, mais marque aussi l’arrivée imminente d’un tournant. Le rythme des ventes de consoles commence logiquement à ralentir après avoir atteint des sommets, et beaucoup de joueurs attendent désormais la prochaine génération. Les rumeurs sur la Switch 2 se sont intensifiées au fil des mois jusqu'à en devenir insupportables, alimentées par des fuites et des spéculations en tous genres.Autant Nintendo n'avait aucune question à se poser en mars 2017 quand la Switch sort compte tenu du flop de la Wii U, autant la bonne santé de la Switch incite à la prudence à tous les stades de la communication. Très vite, Nintendo rassure joueurs et investisseurs, en confirmant que la console sera rétrocompatible avec les jeux Switch. Pour les joueurs, c'est la possibilité de continuer à jouer à ses jeux Switch en attendant que le catalogue de la Switch 2 ne s'étoffe un peu. Pour les investisseurs, c'est une assurance de construire sur le succès de la Switch sans devoir tout reconstruire en partant de rien.
Avec le recul, difficile de penser que Nintendo allait partir dans une autre direction : la Switch était la version finale de ce qu'aurait dû être la Wii U, elle même une évolution de la Wii qui elle-même avait puisé son ADN dans 20 ans d'innovations en termes de console de salon. Ce n'est pas une mission impossible pour Nintendo, mais le risque existe de passer à côté de cette transition en douceur : la Switch sera restée une console populaire et rentable jusqu’au bout, une situation que même la Wii ne connaissait plus quand la Wii est sortie en 2012, après 6 ans de commercialisation de sa grande soeur.
Cet article vous a intéressé ? Vous souhaitez réagir, engager une discussion ? Ecrivez simplement un commentaire.