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Gunpei Yokoi Né le 09/10/1941 Décédé le 10/04/1997 (56 ans)
Biographie de Gunpei Yokoi

Dans les pas de... Gunpei Yokoi

Cette fois-ci, nous n'allons pas nous pencher sur la genèse d'une licence de Nintendo, mais l'histoire d'une personnalité qui a fait l'histoire de Nintendo !

Biographie
Si on demande à des fans de Nintendo de donner des noms de personnes importantes de l’entreprise, le premier à sortir va probablement être Miyamoto. Certains vont évoquer Aonuma, Sakurai, Iwata… Et si nous parlions de Gunpei Yokoi ?

Pardon, qui ?

Commençons par briser un mythe : non, Miyamoto n’a pas tout créé à Nintendo, qui existait déjà avant son arrivée. Le papa de Mario a beaucoup de créations à son actif, mais l’une des séries importantes de Nintendo, à savoir Metroid, a été supervisée par un homme nommé Gunpei Yokoi, tragiquement décédé dans un accident de la route il y a 26 ans, le 4 octobre 1997. Cet article a pour objectif de mettre en lumière un homme qui a beaucoup œuvré pour que l’entreprise devienne celle que l’on connaît aujourd’hui : un géant du jeu vidéo.
Yokoi est né en 1941 à Kyoto et il est le petit dernier d’une famille de 4 enfants. Naître à cette période, c’est grandir à la fin de la Seconde Guerre mondiale au moment où le pays relève la tête après Hiroshima et Nagasaki. Période difficile de reconstruction, politique, mais aussi économique du pays.

Ce jeune enfant s’occupe donc comme il le peut. Alors que son père travaille dans une entreprise de teinture pour des étoffes, Yokoi ramasse des bouts de bois rejetés par une menuiserie voisine. Avec, il inventera ses propres jouets. Bricoleur, il se prend de passion pour les trains miniatures vers l’âge de 7 ans. Il tannera son père pour qu’il lui en achète un. Il se fabriquera aussi ses propres modèles réduits. Le bricolage et la bidouille sont dans ses gènes, à tel point qu’il bricolera lui-même, plus tard, son propre autoradio lecteur de cassettes dans sa voiture, avant même que cela ne soit vendu dans le commerce.

Curieux, il s’essayera à plusieurs passions : du judo (pas longtemps car ça fait mal), de la danse, du chant, du piano que son père a acheté pour lui et ses frères avec des cours, mais seul Yokoi y accrochera. Il fera aussi de la plongée sous-marine et de l’apnée… Il fabriquera son propre harpon. Vous comprendrez aisément que c’est un jeune homme qui préfère s’amuser qu’étudier. Ses notes ne seront pas les meilleures.

Cela lui portera préjudice après ses études en électronique, puisque voulant viser les grandes entreprises électroniques japonaises de l’époque (comme Hitashi), ses résultats scolaires seront le motif de refus, malgré son diplôme. Il se rabattra sur des entreprises moins célèbres.

D’ailleurs, à ce moment-là en 1965, une loi est votée et oblige les entreprises ayant des installations électriques importantes d’engager un électricien. Yokoi postule à une offre de ce genre et se retrouve donc à entretenir une machine d’une chaîne de production qui colle différentes couches de cartes. Cette entreprise vend principalement des cartes Hanafuda et des petits jouets, telles que des pièces de mah-jong. Vous l’avez compris, voici comment le personnage principal de notre article s’est retrouvé chez Nintendo : via un job sous-qualifié par rapport à ses compétences.

Pris la main dans le sac...

Pourtant, cela convient à Yokoi car le poste est près de chez lui, plutôt tranquille et il se voit déjà y travailler jusqu’à la retraite. Comme les machines sont bien entretenues, il n’a pas grand-chose à faire et il en profite pour bricoler pendant ses heures de travail, vu qu’il s’ennuie. Il s’amuse alors à fabriquer un gadget qu’il avait imaginé au collège : un bras télescopique permettant de saisir des objets à distance.

Seulement le patron de la boîte, un certain Hiroshi Yamauchi, a vent des facéties du jeune homme et décide d’aller le voir. Yokoi est en train d’utiliser son gadget quand Yamauchi le surprend et lui hurle : « Yokoi ! Dans mon bureau ! ». Ce dernier se sent acculé et redoute la soufflante qu’il va se prendre. Imaginez donc sa surprise quand le patron lui dit : « Comme Nintendo est un fabricant de jeux, fais-en donc un jeu ! ». Il lui demande donc d’imaginer une version jouet pouvant être fabriquée en usine. La proposition est surprenante, mais il faut alors avoir une vision d’ensemble de Nintendo.

À ce moment-là, la performance commerciale de Nintendo n’est pas du tout au top. Pour faire simple, Nintendo est leader du marché des cartes, mais comme le marché diminue d’année en année, les recettes s’amenuisent. Depuis quelques années déjà, Yamauchi tente de diversifier l’activité de Nintendo. Pendant un court moment, Nintendo avait même sa propre branche de service de taxi nommée Daiya. J’en passe et des meilleures. Toutes ces tentatives se sont soldées par des échecs.

Yamauchi a voulu se recentrer sur le jeu, tout en le diversifiant. Nintendo produit en premier lieu des jeux de société japonais, tels que le go, le mah-jong ou le shogi. Cela ne donne pas de grosses ventes, mais un petit flux continu qui assure une part d’activité de l’entreprise. Elle a d’ailleurs signé un contrat avec l’entreprise américaine MB afin de produire des versions japonaises de jeux de société occidentaux.

Les produits estampillés Disney, les cartes et quelques jouets, se vendent plutôt bien. Mais pour les jeux de société occidentaux, c’est plus compliqué. Par exemple, le public japonais trouve que le jeu Twister fait prendre des positions humiliantes voir dégradantes. Sortir un produit « Made in Nintendo » serait donc une bonne carte à jouer… Et c’est dans ce sens que va la proposition de Yamauchi à Yokoi.
Yokoi repense donc son bras mécanique, réalisé en plastique et imagine un système de défis pour amuser le joueur : il faut attraper une balle de ping-pong colorisée pour la déplacer d’un point A à un point B. Le gadget, nommé Ultra Hand, est commercialisé en 1967 et rencontre un vif succès. Celui-ci est vendu 600 yens à l’époque (une bête conversion yens-euros donnerait 6€, mais en tenant compte de l’inflation, cela représenterait aujourd’hui environ 25€). Suite à ce succès, d’à peu près un million d’exemplaires, Yamauchi créé la division Recherche et Développement (R&D) de Nintendo pour concevoir de nouveaux jouets avec Yokoi à sa tête.
Faisons une nouvelle petite pause dans notre narration pour évoquer l’impact de l’Ultra Hand chez Nintendo. Plusieurs jeux y font référence, notamment Wario dans Mario Power Tennis, la série WarioWare et Wario : Master of Disguise. L’objet apparaît dans la boutique des bombes dans Majora’s Mask 3D et peut être acheté dans Animal Crossing : New Leaf. Dernier détail, dans The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom, l’un des pouvoirs de Link qui permet de déplacer à distance des objets, même lourds et encombrants, est nommé Emprise en français, mais son nom anglais est, vous l’aurez deviné : Ultrahand.

D’agent de maintenance à chef de la division R&D

À la tête de la division R&D, Yokoi prend la mesure de l’opportunité qui lui est offerte ainsi que la pression qui repose désormais sur ses épaules. Pour rappel, cette division existe toujours aujourd’hui (bien que des modifications y ont été apportées) et c’est le centre névralgique de Nintendo. Pour son second gadget, Yokoi ira piocher dans son enfance et plus précisément les souvenirs de ses amis. L’Ultra Hand, c’était une création personnelle. Le succès était inattendu.

Pour reproduire ce succès, il ne devait pas avoir une approche égocentrée. Il a voulu s’orienter vers une notion qu’il n’aime pas (le sport) et s’est souvenu d’un ami avec lequel il passait beaucoup de temps, qui venait d’une famille aisée. Il pouvait avoir tous les jouets qu’il désirait, pourtant, quand ses amis allaient chez lui, cet ami préférait que Yokoi et les autres lui balancent une balle de ping-pong qu’il tentait de renvoyer avec un bout de bois, comme au baseball. Et il faisait cela sans s’arrêter, malgré tous les jouets qui traînaient dans sa chambre. Yokoi ne comprenait pas le plaisir que son ami prenait à jouer au baseball ainsi, mais s’il pouvait y passer des heures, c’est qu’il devait certainement y trouver un intérêt et une forme de plaisir. Ainsi est venue l’idée de créer une machine lanceuse de balle domestique.

Après avoir étudié une vraie machine d’entraînement professionnel, le jeune homme s’est lancé dans une reproduction miniature. Comme il est facile pour les enfants de trouver des balles de ping-pong, Yokoi a décidé de garder ce format et d’y adapter le concept. Les machines d’entraînement sont très précises et Yokoi espérait s’en rapprocher un peu, juste un peu. Cependant lors du premier prototype, à sa grande surprise, celui-ci se révéla absolu et maîtrisé. L’appareil sortira en 1967 et atteindra aussi le million d’exemplaires, même deux !

Comme pour l’Ultra Hand, l’Ultra Machine se cache aussi dans divers jeux, tels que WarioWare, Inc. : Mega Mini-Jeux sur GBA, dans certains Mario Party comme le 5e épisode, dans Animal Crossing : New Leaf, de même qu’une arme dans Splatoon 2, nommée « Lanceur de bombes », s’en inspire. Il nous tarde de savoir si l'Ultra Hand fait une apparition dans les 220 mini-jeux de Warioware: Move it! sur Nintendo Switch qui parait alors qu'est publié cet article !

En 1968, Nintendo sort un produit nommé « N&B Blocks ». Pour faire simple, ce sont des Legos. Yokoi n’est pas à l’initiative de ce projet, cependant il aidera à concevoir comment les blocs s’accrochent entre eux. Il mettra au point une méthode différente de celle de l’entreprise danoise et il la fera breveter avec succès.

D’ailleurs, les 2 types pouvaient même s’accrocher entre eux. Lego, ne voyant pas cela d’un bon œil, traînera Nintendo au procès. Figurez-vous que c’est le fait d’avoir breveté une façon différente de clipser les briques qui fera que Nintendo remportera le procès ! L’entreprise fabriquera une quarantaine de sets avant d’y mettre fin dans les années 70. Peut-être que l’amour de Nintendo pour les brevets vient de cette aventure… Pour l’anecdote, Super Mario Land 2 : 6 Golden Coins possède un niveau faisant référence à ces briques N&B.

Jamais deux sans trois...

Après un produit qu’il avait imaginé dans sa jeunesse, un autre pensé pour un public autre que lui-même, Yokoi souhaite que le troisième produit à sortir de la division R&D soit un produit qu’il aurait lui-même envie d’utiliser. À partir de ce moment-là, Yokoi adopte un certain état d’esprit qui consiste à penser de façon latérale des technologies désuètes ou éprouvées.

La pensée latérale est une technique de résolution de problèmes, qui consiste à observer les problèmes sous plusieurs angles, nouveaux ou de différents points de vue, au lieu de se concentrer sur une approche éprouvée. Cette technique, popularisée par un psychologue, est reprise par Yokoi pour l’appliquer à la technologie. En version simplifiée, elle consiste à se dire que ce n’est pas parce qu’une technologie est obsolète qu’on ne peut plus rien en faire. Comme elle n’intéresse plus, elle ne coûte plus grand-chose et donc, l’utilisation en masse peut s’envisager.

Yokoi utilisait d’ailleurs l’exemple de la fibre de carbone pour illustrer sa pensée. Celle-ci fut d’abord réservée aux applications de pointe dans le domaine de l’aérospatiale, pour se retrouver plus tard dans des équipements de golf. Cette explication devrait vous permettre de voir un parallèle avec la façon de faire de Miyamoto ; et sa méthode de « renverser la table » ; et le fait que Nintendo, aujourd’hui, n’est pas dans la course à la puissance, mais cherche à utiliser du matériel légèrement obsolète, le maîtriser, et le pousser dans ses retranchements, parfois pour des utilisations inattendues.

Pour son troisième jouet, Yokoi voulait s’attaquer à l’électronique. Beaucoup le considéraient à tort comme un spécialiste de l’électronique et il voulait donc justifier sa réputation, en proposant un jouet usant de l’électronique. C’est en jouant un jour avec un testeur de conductivité qu’il eut une idée saugrenue. Un testeur de conductivité permet de vérifier si un courant passe d’un point A à un point B. Le corps humain est conducteur et peut supporter de faibles décharges. Si une personne sert de point A et B, on peut mesurer sa conductivité, sachant qu’une autre personne ne donnera pas le même résultat.

Ayant cela en tête, Yokoi a constaté que si deux personnes se tiennent la main, et que chacune des deux sert de point A ou B pour l’outil, le principe fonctionne toujours. Voilà une solution toute trouvée pour tenir la main des filles ! Si si. C’est ainsi que Yokoi a imaginé le « Love Tester ». On est d’accord, c’est de la fumisterie. Yokoi le dit lui même : « Ce jouet était une véritable imposture, sans aucune légitimité technologique ou scientifique ! ». Aujourd’hui, la conductivité, ou plutôt, la résistance du corps humain est mieux connue. Sur le même principe, certaines balances déterminent votre ratio en matière grasse et muscles.

Ce nouveau gadget fera fureur auprès d’un public plus mature que les précédents. Les clients venant acheter ce gadget étaient, semble-t-il, aussi gênés que s’ils venaient pour acheter un magazine pornographique. Cela aurait, parait-il, permis à Yokoi de serrer beaucoup de mains. Il aurait eu la réputation d’être un coureur de jupons, peut-être à cause, ou grâce à ce gadget. Bizarrement, je n’ai pas trouvé de référence à celui-ci dans des jeux Nintendo…

Comme sur un petit train, les wagons s’enchaînent…

Chaque année compte donc son ou ses nouveaux jouets sortis du département R&D. En 1970, il nous sort l’ele-conga, un tambour électronique émettant des sons de batterie ou de guitare. Il peut même jouer des morceaux encodés sur des disques en papier. Il y a d’ailleurs du papier « vierge » fourni pour réaliser ses propres compositions. La même année, un homme de chez Sharp est envoyé chez Nintendo.

Il s’appelle Masayuki Uemura et doit étudier avec Nintendo les usages possibles d’un composant qu’ils ont réalisé : une cellule photoélectrique, jusqu’à présent réservée à l’industrie. Après une rencontre avec Yokoi, voilà que Nintendo sort le Kosenju SP : le premier pistolet optique permettant de tirer sur une cible interactive. Les armes ressemblent à des pistolets de cow-boy, et les cibles sont des bouteilles qui donnent l’impression de se briser lorsqu’on leur tire dessus. Là encore, un énorme succès à un million d’exemplaires.
En 1971, c’est l’Ultra-Scope, un périscope que Yokoi aurait paraît-il imaginé pour espionner dans le vestiaire des femmes… En 1972, il propose la Lefty RX. Une voiture radiocommandée qui peut seulement tourner à gauche. Cela limite fortement le budget et permet d’être beaucoup moins cher que la concurrence car pour chaque action possible (gauche, droite, avant/arrière) il faut normalement utiliser une bande de fréquence par action et les capteurs par fréquence sont très coûteux. Cela fera un carton encore une fois.

Cette technique d’économie de radio fréquence sera réutilisée pour le Chiritori, un aspirateur radiocommandé, en 1979. D’ailleurs, en 1972, lorsque le petit gars de chez Sharp (Masayuki Uemura ) apprend qu’il va être muté loin de Tokyo, il postule chez Nintendo et rejoint donc l’équipe de Yokoi.

Mais tout peut facilement dérailler...

En 1973, Yokoi travaille à la demande de Yamauchi sur une évolution des pistolets optiques du Kosenju SP pour adultes. L’idée est d’en faire une version plus imposante pour l’utiliser dans des stands de tir de Ball-Trap. Le projet nommé « Laser Clay Shooting System » est en bonne voie et Yamauchi parvient à négocier des contrats avec des bowlings qui voient leur public peu à peu aller vers les karaokés.

Les toutes premières installations sont livrées dans les salles et le succès est au rendez-vous. Seulement, nous sommes alors en 1973, et qui dit 1973, dit… Rappelez-vous vos cours d’histoire : choc pétrolier ! Cela provoque une inflation sur plein de ressources ; l’énergie devient plus chère, donc les coûts de fabrication augmentent, le carburant est évidement plus cher donc le coût de livraison augmente, tout comme le coût de la vie, les gens dépensent moins en loisirs… Bref, toutes les commandes sont annulées par les bowlings. Catastrophe ! Quoique… Yokoi repense rapidement le projet afin de le réduire en taille et le propose aux salles d’arcade.

L’année suivante, il propose une nouvelle version dans laquelle la vidéo présentée à l’écran a été tournée avec de vrais acteurs dans une ambiance western. Cette version nommée Wild Gunman est peut-être alors le tout premier FMV de l’histoire, ou du moins, il en ouvre la voie. Pour l’anecdote, une borne d’arcade de Wild Gunman apparaît dans le premier film Retour vers le Futur. À ce moment-là, on ne parle d’ailleurs pas de jeu vidéo, mais de vidéo interactive… À partir de cette année-ci, Nintendo mettra donc un pied dans les salles d’arcade et continuera à livrer des bornes en continu. Promis, nous reviendrons sur ce détail plus tard.
La fin des années 70 est très compliquée pour Nintendo. À cause du choc pétrolier, les coûts de production ont explosé et les ventes se sont effondrées. Les succès de Yokoi et du département R&D ne suffisent pas à combler les pertes réalisées par les autres services. Nintendo a une dette de plusieurs milliards de yens. Il faut donc trouver un moyen de redresser la barre. C’est dans le Shinkansen que Yokoi constate qu’un homme s’amuse avec… une calculatrice. Intrigué, Yokoi se demande si le jeu vidéo portable serait envisageable. Il évoque l’idée à Yamauchi, sans trop y croire. Ce dernier donne son feu vert. Le projet consiste à permettre à des adultes de jouer discrètement. Au départ, le support envisagé est une montre électronique mais cela est trop petit pour y faire entrer toute l’électronique nécessaire.

En 1979, Mattel sort une petite console portable qui rencontre un succès assez relatif : la microvision. D’un point de vue technologique, la console ne paie pas de mine puisqu’elle ressemble à une grosse télécommande et qu’elle fait quatre fois la taille de l’écran qui paraît donc minuscule. Cependant, elle permet de changer de jeu, via des cartouches. Cela prouve à Yokoi qu’il y a un marché.

Yamauchi, pour encourager Yokoi, provoque une réunion avec un représentant de Sharp, alors leader des écrans LCD mais qui commence a sentir un déclin venir. Cela l’inspire mais il ne parvient pas à réduire le format à la taille d’une montre. Il décide donc de s’affranchir de cette contrainte et envisage un format calculette de poche. Pendant l’étude de ce projet, une mauvaise nouvelle remonte : la dernière production de Yokoi, le Chiritori (le petit aspirateur télécommandé évoqué plus haut) est un flop. À cause de cet échec, le projet de console portable est confié à une nouvelle équipe, qui conclura après quelque temps que cela n’est pas faisable.

Quand il a une idée en tête celui-là...

Yokoi, persuadé qu’il y a quelque chose à faire dans ce domaine, travaillera donc discrètement sur le projet. Un autre ingénieur, nommé Satoru Okada, l’aide aussi. Bien que l’objectif de la montre soit abandonné, il souhaite garder les fonctions suivantes : l’heure et l’alarme. Il veut toujours viser le public adulte et c’est justement en pensant à eux qu’il pense aux porte-cartes de visite, que les Japonais aiment présenter à deux mains.

En partant sur ce format, il souhaite donc concevoir quelque chose d’assez sobre mais élégant. Malgré la crise économique, le tarif des écrans LCD est resté abordable et Yokoi tient à ce que le produit fini soit lui aussi abordable, malgré quelques voix qui voudraient l’orienter vers du matériel plus cher. Toujours dans l’objectif de coût final, il préfère utiliser des piles plates, à la fois moins chères et adaptées à la faible épaisseur du produit. Il parvient alors à concevoir un premier concept de jeu, nommé Ball, où le joueur devra faire jongler un personnage.

Malheureusement, cela commence à atteindre les limites de ses compétences et pour aller plus loin, il ira présenter le prototype de console à Yamauchi. Ce dernier adhère complètement au projet, à un détail près : pas un seul jeu, mais plusieurs. Il estime que ce projet a déjà coûté trop cher, et que si Yokoi et le département R&D y passent encore quelques mois, il faudra sortir plusieurs jeux et donc plusieurs modèles de console. Ball sera donc accompagné de Vermin et Flagman.


Les 3 premiers Game & Watch sortiront en avril 1980 et l’objectif annuel de 100 000 exemplaires vendus est atteint en très peu de temps. Nintendo parviendra à en vendre 600 000 exemplaires la première année. Ce n’était pas prévu et la ligne de production a du mal à fournir les stocks. Les ruptures sont donc légion. En même temps, le public est déjà demandeur de nouveaux jeux !

Dans cette situation très positive pour Nintendo, Yokoi y voit un seul problème : bien que le prix final du produit soit élevé (entre 10 000 et 15 000 yens, soit entre 90 et 135$ à l’époque), le succès s’avère être plus apprécié des enfants et que des adultes. En conséquence, les modèles suivants seront plus colorés. Pour plaire à ce public, Nintendo sollicitera Makoto Kano, designer dans l’entreprise depuis 1974. Il aura la charge d’imaginer le design des personnages des prochains jeux. C’est à lui qu’on doit le design de tous les personnages du 4e Game & Watch, nommé Fire, qui se vendra à plus d’un million d’exemplaires. Pour les connaisseurs, oui, c’est à lui qu’on doit le design de M. Game & Watch.

Une « montée » en gamme

La première série de 5 jeux (avec Judge) est nommée la série « Silver ». Une nouvelle série de 3 jeux verra le jour début 1981 et s’appellera logiquement « Gold ». Yamauchi demandera alors à Yokoi une version plus grande du Game & Watch. Il donnera naissance à la version Wide Screen en juin 1981. Dans cette série, on trouvera Popeye, Mickey et même Snoopy !

Pour Nintendo, la situation s’est retournée. Finies les dettes, les caisses sont pleines : le Game & Watch se vend partout dans le monde, et se vend bien ! Malheureusement, un tel succès attire des convoitises. D’autres fabricants tels que Bandai se lancent dans le marché. Pire, Nintendo doit commencer à lutter face à des contrefaçons, parfois bon marché, mais d’assez mauvaise qualité ! Le « Seal of Quality » vient en partie de cette mésaventure et Nintendo l’appose sur ses produits au cours des années 80.

Pour l’entreprise, une vérité s’impose : il faut continuer à innover et ne jamais se reposer sur ses lauriers. Dans cette optique, Yamauchi suggère à Yokoi, en 1982, de sortir un modèle avec 2 écrans, et pour lequel l’action peut passer de l’un à l’autre. Yokoi s’exécute en s’inspirant des poudriers et invente la console à clapet. Et oui, la Nintendo DS était un certain hommage au Game & Watch.

Pour lancer cette nouvelle gamme de consoles, nommée « Multi screen », il faut un nouveau jeu : Oil Panic, qui sortira en mai 1982. Mais le second modèle de cette gamme va arriver avec un petit twist d’importance, ou même deux, mais il va falloir vous expliquer quelques petites choses d’abord.

Un singe borné ?

Je vous avais promis de revenir sur le sujet des bornes d’arcade, c’est donc le moment. Comme évoqué plus tôt, en 1973, Nintendo s’est lancé sur le marché des bornes d’arcade. Attardons-nous sur deux d’entre eux. En premier, nous allons aborder EVR Race, parfois nommé Evrrace, est sorti en 1975. EVR signifie Electronic Video Recording. C’est un des ancêtres de la VHS (oui, les Japonais ont excellé dans ce domaine). EVR Race est comparable à un jeu de pari hippique, mais il existait des versions avec voiture.

Les joueurs, qui pouvaient aller d’un à dix selon le modèle de la borne, devaient chacun choisir un cheval sur lequel ils voulaient parier. Une fois les paris lancés, l’EVR se lançait, c’est-à-dire qu’une vidéo de course hippique préenregistrée se lançait aléatoirement. Les joueurs voyaient donc la ligne d’arrivée et pouvaient constater la voiture ou le cheval qui était arrivé premier. Nintendo s’en sortait avec ce genre d’expérience.

Il faut dire que les bornes d’arcade de l’époque se limitaient en grande majorité au shoot’em up, le genre de jeu vidéo qu’est Space Invaders. Mais en 1980, Namco commence à prendre une grosse place dans les salles avec une borne mettant en avant un personnage jaune : Pika… euh… non, Pacman ! Ce jeu d’un nouveau genre fait parler de lui. Différents éditeurs tentent alors de copier le jeu en proposant des versions diverses et variées.

En 1981, Nintendo, qui ne souhaite pas copier bêtement, missionne l’un de ses designers. Ce dernier est jusqu’à présent limité à l’illustration de cartes ou de jeux de société. Il s’occupe aussi du design des Color TV Game, la toute première console de salon de Nintendo (oui, certains d’entre vous ont peut-être cru que c’était la NES, que nenni !).

Bref, on lui demande en urgence d’imaginer un jeu concurrent à Pacman qui ciblerait le marché américain. Il s’intéresse alors un peu à la culture US et il en sort deux figures : Popeye et King Kong. Il veut donc se faire rencontrer ces deux licences et même aller plus loin. L’idée est de ne pas copier le style de jeu de Namco, mais d’inventer, ou presque, son propre genre : le jeu de plates-formes. Il s’inspirera de « Space Panic » d’Universal.

Seulement, en discutant avec Yamauchi, il découvre un hic. Négocier les droits de King Kong va s’avérer compliqué, et Nintendo possède certes les droits de Popeye, mais pour le marché des consoles. Il faudrait négocier bien plus qu’envisagé. Ni une, ni deux, le designer, qui, vous l’aurez désormais compris, s’appelle Shigeru Miyamoto, remplace « Kong » par « Donkey Kong », et Popeye par un charpentier. Ce dernier s’appelle Jumpman et pointera un jour à Pole emploi pour devenir plombier… Mais c’est une autre histoire. Je ne vais pas aller plus loin dans les détails de l’aventure Donkey Kong, mais il y aurait beaucoup de choses à dire. Il a été conçu en trois mois et rencontré un grand succès.

L’entreprise Taito a tenté de le racheter à Nintendo qui, à la place, finira par vendre des accords d’utilisation, à Coleco et Atari (oui Donkey Kong est sorti sur Atari !). Autres (et dernières) anecdotes sur ce sujet, il y a Universal qui a tenté un procès contre Nintendo, mais aussi le fait que l’équipe américaine de Nintendo ne pensait pas que le jeu allait marcher (mais ils se sont plantés sur tellement de trucs ceux-là…). Bref, si je vous ai raconté cette histoire, c’est parce que Yokoi est intervenu pour mettre au point la borne de ce jeu, et voilà qu’on retourne en 1982 pour notre petit twist.

Retour vers le futur… passé

Nous évoquions les différentes gammes de Game & Watch et surtout le modèle de 1982 à double écran permettant que l’action se déroule sur l’écran du haut et du bas. Cette année-là, Yamauchi confie donc à Yokoi de porter Donkey Kong sur Game & Watch. Cela pose un gros problème : le jeu se joue au joystick ! Oui, la grosse poignée qu’on trouve sur les bornes d’arcade, il n’y en a pas du tout sur Game & Watch. Cette console se joue depuis le début avec quelques petits boutons… Yokoi fera plusieurs prototypes pour permettre de jouer à Donkey Kong sur Game & Watch et cela a abouti à une innovation.

Oui, une innovation tellement bête qu’on la trouve depuis sur toutes les manettes de toutes les consoles : la croix directionnelle. Cela peut vous paraître improbable à notre époque, mais depuis le début, le monde du jeu vidéo se limitait à des boutons, et seules les bornes d’arcade avaient des joysticks. Pour sortir Donkey Kong sur Game & Watch, Nintendo mettra fin au contrat permettant son utilisation à Coleco et Atari. 8 millions, oui, 8 millions de Game & Watch Donkey Kong seront vendus ! C’est véritablement le premier énorme succès de Nintendo. On se retrouve loin du « petit » million des jouets de Yokoi. Dites-vous que Coleco avait aussi vendu 6 millions d’exemplaires du jeu et Atari 4 millions. Soit un total de 18 millions d’exemplaire plus les bornes originales du jeu. Pour Miyamoto, l’aventure ne fait alors que commencer.

Mais revenons à Yokoi et ses Game & Watch. Au fil des ans, les gammes évoluent. Certaines (Table Top) proposent de jouer façon borne d’arcade, comme sur de mini-ordinateurs, d’autres adoptent un format plus compact (gamme Panorama). En 1984, sortiront deux exemplaires dans la gamme Super Color, mais il y aura aussi la gamme Micro Vs System, trois modèles, qui proposent des jeux à deux joueurs ! Si les gammes s’enchaînent, les ventes ne suivent pas pour autant. Avec un total de plus de 43 millions d’exemplaires, les Game & Watch tireront leur révérence en 1986.
Je vous ai dit que les ventes de Game & Watch s’effondrent à partir de 1983. Mais savez-vous pourquoi ? En fait, cette année-là, il se passe plusieurs incidents majeurs. Le premier est un événement qui se fait ressentir principalement aux États-Unis : la crise du jeu vidéo. C’est un pan de l’Histoire (vous avez noté le grand H) du jeu vidéo. Elle a entraîné une chute spectaculaire des ventes de jeux et consoles, des faillites d’entreprise et faire sombrer tout un ensemble du secteur.

Pour comprendre cette crise, il faut voir le marché dans son ensemble. Comme je vous le disais pour le Game & Watch, les éditeurs avaient tendance à s’engouffrer dans la faille dès qu’un produit rencontrait le succès en le copiant, plagiant parfois. Le détail que je n’ai pas précisé, c’est que les copies étaient souvent très nombreuses et de très, très mauvaise qualité. Comme les consoles de salon devenaient de plus en plus populaires, les succès de certains ont attiré la convoitise de beaucoup, beaucoup d’autres.

Ainsi, comme au début des années 80, l’Atari 2600 était peut-être la console du moment, de nombreuses entreprises se sont lancées dans le développement de petits jeux pour cette console. La concurrence se faisait jusqu’au recrutement des développeurs en proposant toujours un meilleur salaire que la concurrence. Cela a abouti à une situation ubuesque : beaucoup de jeux étaient proposés pour la console, mais ceux qui valaient le coût étaient rares.

Dites-vous que certains jeux ne passaient même pas l’étape des tests ou bien étaient des versions bâclées de copies. Bien sûr, le packaging était vendeur, mais le produit ne tenait pas ses promesses. Les consommateurs se sont donc petit à petit détournés de ce marché. Mais en plus d’Atari, les consoles de Mattel, Coleco et Intellivision étaient en lice. Cela entraînait une guerre des prix. Cependant… Un détail important est à noter concernant le marché américain de l’époque : quand un jeu se vend mal dans un magasin, le commerçant peut retourner tout ou partie du stock à l’éditeur, contre un remboursement ou de nouveaux jeux !

Vous voyez donc le hic ? Les éditeurs ont vu revenir dans leurs bras des cartouches de jeux invendues. Vous avez certainement entendu parler du jeu E.T. l’extraterrestre d’Atari ? Ce sont des millions, oui, des millions de cartouches invendues du même jeu qui ont été enterrées dans le désert. En conséquence, beaucoup d’entreprises ne pouvaient plus payer leurs salariés et mirent la clé sous la porte.

Le second incident, est tout simplement que Nintendo est en train de se marcher sur les pieds. Les ventes de Game & Watch se font vampiriser par un autre produit Nintendo. Vous savez lequel ? Oui, le monsieur au fond qui lève le doigt, vous avez dit quoi ? La NES ? Non Monsieur, nous sommes au Japon, donc on dira, la Famicom, mais oui, c’est bien la NES qui est sortie fin 1982 qui commence à piétiner le marché de Yokoi.

En même temps, c’est normal, le monsieur en question y a un tout petit peu participé. La preuve ? La croix directionnelle inventée pour le portage de Donkey Kong pour Game & Watch est sur la manette de la Famicom. Il n’en fera pas plus pour cette console. De même, celle-ci mériterait un article détaillé donc je vais me limiter à quelques détails et la situation contextuelle.

Je vais juste vous expliquer l’origine du nom de la console trouvé par la femme de Yamauchi : c’est la contraction de Fam-ily Com-puter. Bref, je vous disais que Yokoi a très peu touché à la console lors de sa conception. Pourtant… s’il avait eu plus de temps pour participer à celle-ci, il aurait remarqué un gros raté. En effet, lorsque la Famicom est sortie, le 15 juillet 1983, elle contient un défaut de conception qui fait que la carte mère plante assez souvent. Le Seal of Quality, présent sur la boîte de la console, en prend pour son grade. Mais la malchance ne frappe pas une, mais trois fois…
Le second problème pour cette Famicom, c’est la crise du marché du jeu vidéo aux USA évoquée plus haut. Pour cette raison, la console se limite au marché japonais dans un premier temps. Enfin, le dernier problème, et pas des moindres, c’est que le jour de la sortie de la console, le 15 juillet 1983, Sega a aussi lancé sa propre machine, la SG-1000, et celle-ci peut se targuer d’avoir bien plus de jeux en un an que celle de Nintendo. 21 contre 9… À un détail près : les jeux de Sega ne font pas parler d’eux alors que la NES est plus puissante et possède 3 jeux phares : Donkey Kong, Donkey Kong Jr., et Popeye…

La sortie de la version corrigée de la Famicom en 1984 vient rectifier le tir alors que Sega commençait à avoir le monopole. De plus, Nintendo s’est décidé à mettre les bouchées doubles pour les jeux. Il autorise les éditeurs tiers à sortir des jeux sur sa console, alors que Sega refuse que ses concurrents des salles d’arcade deviennent ses alliés sur sa console. Grâce aux diverses commissions, Nintendo touchera à nouveau le pactole et ne connaîtra plus jamais la crise. Mais que vient faire Yokoi dans cette histoire ? Je vous ai expliqué que la Famicom est arrivée dans un contexte délicat, face à une certaine concurrence, mais sous-équipée en nombre de jeux. En faisant ce constat à l’époque, Yamauchi a demandé à ce que toutes les forces disponibles puissent créer des jeux, et de bons jeux. La division R&D a donc dû se lancer dans la conception et le développement de jeux vidéo.

Yokoi n’était pas développeur, mais il devait superviser l’ensemble des membres de la division R&D pour les affecter à différents projets. Avant même la sortie de la Famicom, il s’était associé à Miyamoto pour adapter Donkey Kong et Donkey Kong Jr. sur la console. Il assurait le rôle de producteur, parfois de réalisateur. Sur Mario Bros, jeu légèrement boudé lors de sa sortie en salle d’arcade, Yokoi aurait participé au design du jeu qui sera vite adapté sur Famicom et rencontrera le succès. On dira même que ce jeu sauvera le marché du jeu vidéo. Mais c’est une autre histoire…

Sous la supervision de Yokoi, l’équipe R&D produira plusieurs jeux (je précise avec l’astérisque les jeux présents sur la console virtuelle de la Switch) : Ballon Fight*, Clu Clu Land*, Duck Hunt, Excitebike*, Golf, Ice Climber*, Tennis*, Soccer*, Wrecking Crew*, Mach Rider, Metroid*, Kid Icarus*, les deux jeux Famicom Tentei Club qui furent portés sur Switch, Famicom Wars qui donnera naissance à la licence « Nintendo Wars » et qui n’arrivera en Occident que par le biais d’Advance Wars, Dr Mario*, le tout premier Fire Emblem, intitulé Fire Emblem : Shadow Dragon & the Blade of Light, et son second épisode, Fire Emblem Gaiden, le tout premier jeu dont la star est Yoshi : Yoshi’s Cookie (il y a eu un précédent jeu Mario and Yoshi, seulement nommé « Yoshi* » en Occident), qui est un Tetris like. D’ailleurs, Alexy Pajitnov, le créateur de Tetris, a participé à son développement. Enfin, pour clôturer cette longue liste, Wario Woods*.

Toujours un projet sous le coude

Pendant plusieurs années, Yokoi s’est retrouvé à superviser les équipes, budgets et planning de différents projets. C’était loin de ce qu’il avait l’habitude de faire : un petit projet de son côté pour son ou ses plaisirs. Pourtant, en parallèle de tout cela, Yokoi est en train de travailler depuis le début des années 80 sur un projet nommé « Dot Matrix Game ».

Information importante : afin de simplifier l'article, sa narration et lecture, j'aborde ce projet sous l'angle de Yokoi, mais il y a trois autres personnes dont le nom doit être mentionné : Satoru Okada, Takehiro Izushi et Yoshihiro Taki. Ces 3 personnes sont elles aussi à associer à la création de la console. Si vous souhaitez en savoir plus, on vous invite à lire le volume 4 de l'Histoire de Nintendo, par Florent Gorges, chez Omaké Books.

En voyant que les ventes des Game & Watch chutaient, il se disait qu’il fallait travailler sur une toute nouvelle console portable qui permettrait cette fois de changer de cartouche et donc, de jeu. En interne, le projet ne convainc pas des masses et il est même source de conflits. Yokoi est encore en train de jouer avec des technologies obsolètes dont un écran monochrome. En réalité, avec Yokoi tout à un sens.

Ce choix d’écran fait suite à une mésaventure qu’il a rencontrée avec un téléviseur portable. Un jour, il y installe des piles et regarde un match de baseball sauf que l’écran s’éteint avant la fin du match : les piles étaient usées en moins de temps qu’il n’en faut pour regarder un match entier. 6 Piles LR6 neuves avaient rendu l’âme en moins de 2 heures, cela paraissait excessif pour Yokoi. Il voulait donc un appareil qui soit le moins énergivore possible.

Après de nombreuses galères, Yokoi présente la version finale du projet : La Game Boy (oui, je dirais « la », et pas « le », c’est mon article à moi…). Le line up de la console ne sera pas fameux, à un titre près : Tetris, qui sera inclus au lancement de la console et lui permettra de faire un carton lors de sa sortie en 1989. Je vous invite d’ailleurs à voir le film Tetris pour découvrir cette histoire. Beaucoup de jeux alimenteront cette console qui connaîtra ses petits succès dont un certain Pokémon.
Yokoi pourrait se féliciter de ces divers succès, qui sont permis par ses propres inventions et sa persévérance. Seulement, en 1990, Nintendo n’a plus rien à voir avec le Nintendo qu’il a connu à son arrivée. C’est devenu l’entreprise japonaise la plus rentable ! Alors qu’au début, Yokoi pouvait mener ses petits projets dans son coin, il doit désormais être sur plusieurs fronts. La Game Boy, bien qu’elle soit un succès, s’est quelque peu faite dans la douleur en ce qui le concerne. Le succès des projets qu’il a menés jusque-là lui a donné une réputation qu’il ne veut pas assumer.

De plus, à partir des années 90, le monde du jeu vidéo va jouer les gros bras et chacun va vouloir présenter une console « plus puissante ». Or, rappelez-vous, ce n’est pas le credo de Yokoi qui préfère innover avec des technologies obsolètes. Il commence alors à sentir que le sol s’est dérobé sous ses pieds et que ce monde s’est lancé dans une course à laquelle il ne veut pas participer.

Il commence donc à envisager de quitter Nintendo, non pas sans un dernier projet. Il voit les choses en grand car il veut tenter quelque chose autour de la réalité virtuelle. Comme à son habitude, il vise un public qui ne joue pas ou pas beaucoup aux jeux vidéo et veut leur proposer quelque chose de « simple ».

Contrairement aux idées reçues, son projet, qui sortira sous le nom de « Virtual boy », n’est pas au sens strict du terme, un « casque de réalité virtuelle ». C’est bel et bien un casque, qui intègre de la réalité virtuelle, mais il n’est pas fait pour être porté. Il se pose avec son trépied sur une table et le joueur doit se pencher pour regarder dedans. Vous en conviendrez, ce n’est pas très ergonomique et cela s’en ressentira. De plus, la console n’affiche que deux couleurs : le rouge et le noir, reprises d’ailleurs pour la structure en plastique. Enfin, il y aura peu de jeux, 22 dont certains exclusifs au marché japonais ou américain, et encore moins utiliseront la réalité virtuelle.

Beaucoup diront que c’est un échec commercial. C’est sûr, cette console n’a pas rencontré le succès escompté, mais elle peut tout de même compter 770 000 exemplaires vendus entre le Japon et les États-Unis. La production sera abandonnée 6 mois après sa sortie au Japon, 8 pour les États-Unis. Elle ne sortira pas en Europe.
C’est la douche froide pour Yokoi. Il est même quelque peu frustré par la façon dont le service commercial a vendu l’appareil en ciblant les grands joueurs alors qu’il ciblait lui, les joueurs occasionnels. Yokoi retarde donc son départ, pour ne pas donner l’impression de partir à cause de cet échec. Il travaille alors sur une amélioration de la Game Boy, ce qui donnera la Game Boy Pocket.

Lors de sa démission, plusieurs membres de la division R&D le suivent lorsqu’il fonde sa société, Koto Laboratory. Il ne souhaite pas partir fâché de Nintendo et son entreprise développera des jeux pour ses consoles. Mais il prévoit de collaborer avec Bandai pour le développement d’une console portable : la WonderSwan.

Malheureusement, le 4 octobre 1997, la voiture dans laquelle il est passager a un petit accrochage avec une camionnette sur l’autoroute. Alors qu’ils sortent de la voiture pour la pousser sur le bas-côté, lui et son collègue se retrouvent percutés par un autre véhicule. Son collègue, Kiso Etsuo s’en sort, mais Yokoi mourra suite à ses blessures. Il sera incinéré et ses obsèques rassembleront près de 500 personnes, dont Miyamoto, Yamauchi et Satoshi Tajiri, le créateur de Pokémon. Miyamoto designera une plaque sur laquelle on retrouve la fameuse maxime : « La pensée latérale des technologies désuètes » et quelques-unes de ses inventions majeures.

Au delà des personnes présentes à ses funérailles, je vous ai listé les jeux qui faisaient des références directes à ses inventions. Si vous y avez bien prêté attention, vous avez certainement remarqué qu'une série (parmi plusieurs, c'est vrai) semblait lui rendre hommage assez souvent : les jeux Wario. Alors non, on ne peut pas affirmer que Yokoi a un lien direct avec ce personnage puis que c'est Hiroji Kiyotake qui en est le créateur, mais à l'inverse, Super Mario Land 2, qui a introduit Wario, a été créé par l'équipe R&D dont Yokoi était le producteur à ce moment-là.

Pour fournir ses consoles en jeux, Yamauchi a créé les équipes R&D2 (dirigée par Masayuki Uemura, le gars de chez Sharp qui voulait rester travailler avec Yokoi chez Nintendo) et R&D3 (dirigée par Genyo Takeda, qui avait développé l'EVR Race et est à l'origine de la série Punch Out !). Ces trois équipes ont disparu avec le temps. Le dernier jeu de l'équipe R&D première du nom a été... WarioWare Touched ! sur Nintendo DS en 2004.
J’espère que cet article vous aura permis de découvrir le monde et l’histoire du jeu vidéo sous un angle que vous ne connaissiez pas, au travers de la vie de M. Gunpei Yokoi. J’ai moi-même appris et découvert bien des choses, parfois quelque peu contradictoires parmi les sources trouvées. J’aime à penser que le Nintendo d’aujourd’hui n’est finalement pas si loin de la maxime qui lui tenait tant, et que c’est là, peut-être, une forme d’hommage à cet homme auquel elle doit beaucoup. Cet article avait pour objectif de vous parler d’un homme, mais il m’a fallu digresser, parfois un peu, parfois plus pour vous présenter tout un contexte. J’espère que vous avez pris autant de plaisir à le lire que moi à l’écrire. Certaines parties de cet article auront peut-être droit un jour à une version plus détaillée, mais ce sera pour une prochaine fois.
Commentaires sur l'article

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Kyloren
Sympathique article, par contre la Microvision est un échec commercial, contrairement à ce qui est dit dans l'article, cette console portable ne s'est vendu qu'à 1,5 M d'unités.
samus35
[quote="Kyloren"]Sympathique article, par contre la Microvision est un échec commercial, contrairement à ce qui est dit dans l'article, cette console portable ne s'est vendu qu'à 1,5 M d'unités.[/quote]



Houla non, 1.5M d'unité, c'est ce qui semble figurer sur Wikipedia pour le seul marché français (ou européen) ! Au niveau mondial, c'est 8 millions d'exemplaires. Ce qui n'est pas rien du tout. La microvision s'est très bien vendue, mais c'est retombé comme un soufflé car y avait très peu de jeux :

7 jeux à sa sortie en 1979, puis 2 jeux supplémentaires par an jusqu'en 1981. Autant dire : rien. L'echec commercial si on veut le definir ainsi, c'est le manque de suivi des jeux pour alimenter la console.
BalaSparta
Merci pour cette bio' ! Parfait en lecture du dimanche.

Plusieurs détails notamment autour de l'ultra hand, je ne les avais pas...
NP-Hard
Article dense et très intéressant et très passionnant en le lisant ça me procure une forte émotion, gunpei yokoi est un génie qui a révolutionné le concept de consoles portables et bien sûr aussi la vision de Nintendo, merci beaucoup de nous avoir publié une Bio complète du génie hors pair je garderai précisément cet article car... certainement je le relirai et aussi mes enfants. R.I.P yokoi
Kyloren
[quote]Houla non, 1.5M d'unité, c'est ce qui semble figurer sur Wikipedia pour le seul marché français (ou européen) ! Au niveau mondial, c'est 8 millions d'exemplaires. Ce qui n'est pas rien du tout. La microvision s'est très bien vendue, mais c'est retombé comme un soufflé car y avait très peu de jeux :

7 jeux à sa sortie en 1979, puis 2 jeux supplémentaires par an jusqu'en 1981. Autant dire : rien. L'echec commercial si on veut le definir ainsi, c'est le manque de suivi des jeux pour alimenter la console.[/quote]

Pas du tout, on n'a aucun chiffre précis à ce sujet, on ne peut donc clairement pas affirmer un chiffre de 8M de consoles vendues comme celle d'une vérité absolue. C'est très probablement beaucoup moins que ça, sinon MB aurait surfer sur le "succès" de la machine pour continuer dans cette voix (simple logique économique pour le coup). Plein d'articles avec des sources fiables le précise clairement, un exemple parmi d'autre, cet article : https://www.culture-games.com/plateformes/microvision
samus35
[quote="Kyloren"]

Pas du tout, on n'a aucun chiffre précis à ce sujet, on ne peut donc clairement pas affirmer un chiffre de 8M de consoles vendues comme celle d'une vérité absolue.[/quote]

Il semble en effet qu'il y ait un loup sur ce sujet. J'ai édité cette partie de l'article mais une version "enrichie" de l'article est prévue pour plus tard. J'ai lancé quelques bouteilles à la mer pour avoir quelques explications sur le nb de microvision, sans trop y croire.
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