Vous avez dit 'disruptive' ?

Poursuivre sur cette voie.

Mission accomplie donc, même si actuellement, ce sont surtout des jeux Nintendo que les joueurs attendent avec impatience. Alors peut-on vraiment parler de stratégie disruptive ? Non, on dirait plutôt qu''il s'agit d'une savante alchimie entre modernité et classicisme, un concept qui prend toute sa valeur sur la toute nouvelle console de Nintendo, la Wii.

En effet, Nintendo dispose pour sa Wii d'un atout majeur : sa Virtual Console, ou Console Virtuelle. Pendant la GDC, Nintendo a annoncé deux partenariats de prestige, avec Sega et Hudson. Ces deux sociétés vont permettre à Nintendo de proposer en matière de jeux vidéo ce qu'un certain iTunes représente dans le domaine musical : un choix inégalé, à un prix imbattable. Pour le prix imbattable, on devra sans doute repasser, mais si Nintendo tient son engagement de proposer ses jeux, ceux de Sega et ceux autrefois dispo sur PC Engine, alors il ne fait aucun doute que la Console Virtuelle va faire beaucoup d'heureux.

C'est sans doute la raison pour laquelle Nintendo estime que 80 à 90% des joueurs se connecteront en Wi-Fi : rappelons que la fonctionnalité sera disponible dès l'ouverture de l'emballage de la console, et qu'il serait donc bien dommage de s'en priver !

Pour réussir, il faut avoir de bonnes idées, donc. Mais pas seulement : il faut avoir aussi de grandes idées. Et le concept de Console Virtuelle en est une, au même titre que proposer des jeux de réflexion pour trentenaires en mal de challenges intellectuels ! Si on se place à une altitude géostationnaire, on se rend compte que Nintendo ne vogue pas sur un Océan Bleu, mais se trouve actuellement dans l'oeil d'un cyclone.

Ses concurrents, eux, sont dans le cyclone. C'est du moins ce qu'on espère : on pourrait tout autant prétendre le contraire, en prenant vite les chiffres de ventes du NPD Group aux Etats-Unis par exemple. On aime appuyer ses arguments sur des exemples quantifiables, et il ne fait aucun doute qu'il est plus facile de compter le nombre de XBox 360 vendues que le nombre de personnes intéressées par Train your Brain ! Pendant l'E3, le stand de Sony n'était-il pas désert (par rapport aux 1200 personnes attendant pour tester la Wii de Nintendo ?)

En continuant son petit bonhomme de chemin, il ne reste qu'à espérer que Nintendo parvienne à suivre le cours du cyclone : que le temps semble calme, que la mer, pardon l'océan, semble tranquille. Pourtant, c'est une vraie révolution qui se prépare ! C'est sans doute ce qu'Iwata essaie de nous faire comprendre avec ses explications sur le disruptive development, c'est aussi ce que Perrin Kaplan nous explique avec son Blue Ocean, avec à la clé un navire indemne qui en sortira grandi pour continuer à avancer, pendant que les autre s'arrêteront au port pour de coûteuses réparations !

Risques technologiques et enjeux

Mais faire une halte au port n'a pas forcément que des inconvénients. C'est aussi l'occasion pour les capitaines de faire le point sur la situation et de proposer de nouveaux modules qui frapperont le public : un disque dur gigantesque, le support de la HD, le support du Blu-Ray... et on en passe. Ces éléments sont recherchés par les joueurs les plus aguerris. Il ne fait aucun doute que l'éleveur de chien virtuel ou le virtuose du jeu cérébral intéractif n'ont pas beaucoup d'affinité avec ces fonctionnalités.

Pourtant, ce sont ces mêmes fonctionnalités qui font courir ceux qui ont fait du jeu vidéo un secteur pesant plusieurs milliards de dollars en 2005, avec un revenu qui dépasse celui du cinéma. Ce sont ces mêmes fonctionnalités qui ont fait du DVD un format de masse : la présence d'un lecteur DVD dans la Playstation 2 a popularisé les galettes de plastique sur la Terre entière.

Aujourd'hui, les joueurs se passionnent pour le jeu en ligne et pour les images d'excellente définition. On comprend mieux l'inquiétude des uns quand Nintendo indique que sa console ne fait pas partie de la course à l'armement à laquelle Sony et Microsoft prennent part. Quand Nintendo a lancé la NES en 1983, c'était en insistant d'abord sur la puissance graphique de sa machine face à ce que faisait la concurrence.

Le discours est tout autre aujourd'hui, vingt ans plus tard : non pas que l'intention de proposer de bons graphismes a disparu des cahiers des charges de Nintendo, mais son intérêt est porté sur autre chose, les jeux. Pour en arriver là, Nintendo est parti d'un constat : depuis quelques années, il n'y a eu que trop peu de réelles innovations, et c'est ce qui intéressera tant les joueurs pendant l'E3 et dans les années qui viennent !

Le regard des joueurs compte.

Bien sûr, c'est le point de vue des responsables de Nintendo, un point de vue que nous aimerions tous partager ! Mais il n'y a qu'à voir le scepticisme avec lequel ces arguments sont accueillis dans le camp adverse pour comprendre que d'un côté comme de l'autre, il y a des efforts à faire ! Se lancer tous azimuts dans le jeu en ligne fin 2005 fait sourire ceux qui défrichent le terrain depuis plusieurs années : peut-on parier sur un mouvement similaire en 2012 lors de la prochaine génération de consoles au sujet du support de la haute-définition ?

Avec la manette de la Wii, on voit Nintendo prendre un risque énorme, mais on aurait bien aimé que ce ne soit pas le seul. C'est comme si Nintendo n'avait pas voulu miser plus gros pour ne pas risquer plus gros en cas d'échec : la Wii pourrait-elle être un coup d'essai avant un coup de maître une fois le public acquis à sa cause ? La question mérite d'être posée, dans la mesure où la machine ne sera révolutionnaire qu'avec sa manette. Peut-être aurait-on voulu jouer avec une manette de folie sur une TV HD, ou utiliser sa console comme borne multimédia dans le salon où stocker films et musique ?

La convergence multimedia semble ridicule aux yeux de certains, elle présente pourtant des avantages certains, notamment en termes d'arguments commerciaux. Le tout est de parvenir à balancer ces arguments avec des coûts de production : proposer une Playstation 3 à 700 euros n'est rien de plus qu'une idée ridicule qui privera Sony d'une quantité phénoménale de joueurs, on peut en être sûr ! A moins que l'argent de poche des joueurs n'intéresse plus Sony qui préférera ceux qui recourent aux crédits à 2.9% de Cofidis...

Il est peut-être là le principal problème de tous : entre Nintendo qui ne jure que par le jeu sous toutes ses formes (surtout quand il ne ressemble pas à un jeu !) en s'interdisant certains risques technologiques, Microsoft qui a oublié d'innover avec sa nouvelle console (à l'architecture monstrueuse qui finalement n'apporte rien de vraiment nouveau), et Sony qui n'a d'yeux que pour ceux qui sont dans la vie active et ont beaucoup (beaucoup !) d'argent à dépenser, on se sent un peu laissé pour compte.

La disruptive strategy de Nintendo nous séduit plus qu'elle nous inquiète : la DS marche fort, la Wii devrait suivre le même chemin dans la mesure où les joueurs savent déjà que Big N leur fait une offre qui n'existe nulle part ailleurs. Mais le fait de tirer un trait sur certaines innovations techniques peut agir comme un signal d'alarme, parce qu'une console doit être innovante et capable de tenir plusieurs années face à une concurrence dont les consoles affichent des performances alléchantes aujourd'hui mais qui paraîtront somme toutes normales dans trois ou quatre ans.