Le Nintendo Phone : pas pour demain !

Une entreprise doit produire de la valeur

Une entreprise a des impératifs qu'on ne soupçonne parfois pas, l'un d'eux s'appelle le souci de rentabilité. Quand on vend ses jeux 45 €, nul doute qu'on mise à fond sur cet aspect, et qu'on regarde avec méfiance, voire avec mépris, le phénomène des jeux à 79 centimes si nombreux sur l'AppStore ! Pour Nintendo, il y a un fossé entre des jeux tels que ceux imaginés par Nintendo et ceux que l'on trouve sur ces plate-formes de téléchargement : lors de la récente Game Developers Conference de San Diego en Californie, Satoru Iwata a suscité l'ire des développeurs en disant ô combien les jeux sur téléphones portables étaient peu aboutis, une petite phrase que Reggie n'a pas hésité à reprendre et à confirmer : les jeux pas chers ne sont pas des jeux de qualité, disent-ils.
Or, combien de joueurs préféreront-ils un Angry Birds à 79 centimes à un Sports Island à 45 € ? Etre déçu d'un jeu à 79 centimes fait éprouver quelques regrets, être déçu d'un jeu à 40 ou 60 € fait déjà exprimer plus que des regrets, parce qu'on se sent véritablement lésé. Nintendo se demande pourquoi sa plate-forme de jeux en téléchargement a du mal à décoller ? Qu'ils regardent le prix des jeux, d'abord : sur la Console Virtuelle Wii, un jeu de 1988 coûte plus cher qu'une application développée cette année pour iPhone. Une aberration ! Qu'on ne vienne pas nous parler de rentabilité dans ces cas-là, et qu'on confirme que les joueurs sont de simples vaches à lait !

Aussi choquante soit l'attitude de Nintendo envers le secteur du téléphone portable, il faut bien voir que la firme joue sur les deux tableaux : concéder qu'il manque la téléphonie reviendrait à signifier la mort prématurée de la 3DS, le public préférant alors attendre un prochain modèle GSM-ready ! Il n'en sera rien, et Nintendo a d'autres moyens de permettre à nos consoles de communiquer : n'oublions pas que les consoles sont équipées d'une puce Wi-Fi qui a donné vie à deux fonctions intéressantes, SpotPass et StreetPass. Pour exploiter le Wi-Fi, Nintendo a d'ores-et-déjà annoncé de gros accords avec AT&T aux Etats-Unis, iBahn en Allemagne, KPN aux Pays-Bas : via les hotspots de ces fournisseurs, il sera bientôt possible de jouer en ligne sur 3DS sans débourser un centime, le plus simplement du monde. Voilà qui demande bien des efforts quand la présence optionnelle d'une carte SIM 3G aurait permis à la console d'accéder au contenu auquel elle peut prétendre, aussi simplement qu'avec SpotPass !

Vers un monde hyperconnecté

Vous ne serez plus jamais seul ! Chez vous, votre console informe déjà vos amis que vous êtes connecté. Votre console parle de vos jeux préférés, dialogue de façon sommaire avec les Mii que vous croiserez dans la rue. C'est un bon début, mais est-ce suffisant ? De nombreux visiteurs nous contactent pour nous parler des fonction Réseau de la console : le tableau de bord des connectés est encore bien limité, et ne permet par exemple pas de correspondre avec ses amis en ligne, ou de leur laisser un message. A quoi pensent-ils chez Nintendo, que nous sommes dotés de télépathie ? On s'en fiche de savoir qu'Untel est en ligne si on doit… aller chercher son téléphone (TIENS DONC !) pour lui proposer de jouer ensemble en ligne ! La 3DS est dotée d'une puce Wi-Fi, d'un micro et de haut-parleur : les composants qui devraient nous permettre de communiquer le plus simplement du monde !

Si une telle fonction vient à manquer dans l'une des toutes prochaines mises à jour de la 3DS, on a bien peur que le sort en soit jeté une fois encore et que Nintendo nous prouve son incapacité à anticiper le réseau comme les joueurs l'imaginent et l'utilisent aujourd'hui. L'intégration du online sur XBox 360 est si avancée par rapport à la Wii qu'on espérait que Nintendo comprendrait sa lourdeur avec la 3DS. Pour l'instant, Nintendo ne nous a pas montré qu'il avait compris la leçon, mais on lui laisse encore une chance avant de tirer un trait, une bonne fois pour toutes, sur le jeu en réseau via une console Nintendo. Aujourd'hui, nos téléphones, ordinateurs et consoles sont sur Internet. On suit les flux de messages Facebook sur tous nos écrans à la fois, on poste nos messages depuis n'importe où. Et quand on joue à la Wii ou à la (3)DS, personne ne peut le savoir. Ce n'est pas forcément un bon exemple - au diable la vie privée si nos moindres faits et gestes paraissent sur nos murs, mais le joueur d'aujourd'hui préfère en savoir trop que pas assez et donc manquer une chance de jouer en ligne contre un ami disponible.

Ca sonne, tu réponds ?

La soif de connectivité des joueurs ne devrait toutefois pas convaincre Nintendo de lancer un N-Phone avant bien longtemps. On a vu que la perspective ne réjouissait pas les responsables marketing de la firme, que ses ingénieurs n'avaient pas forcément les compétences pour ce faire : pour la Wii U, Nintendo a choisi de faire appel à un prestataire externe pour gérer cet aspect du développement de la console. Dans le fond, voir ses franchises sur portable ne l'enchante guère. On a vu plus ouvert à la négociation ! Aujourd'hui, les responsables de Nintendo préféreraient mourir plutôt que de prendre un appel sur un N-Phone, et ont des hauts-le-coeur à l'idée de voir Mario courir officiellement sur iPhone ! Mais voilà 10 ans, qui aurait cru qu'Apple se lancerait un jour sur le marché du smartphone avec l'iPhone ? Voilà 15 ans, qui aurait cru que Sony se lancerait sur le marché du jeu vidéo avec la PlayStation ? Voilà bientôt 30 ans, qui aurait cru que Nintendo se lancerait sur le marché du jeu vidéo domestique ?

Et puis surtout, le monde a découvert début juillet que la Pokémon Company allait tirer la première, avec une application pour smartphones. La nouvelle a littéralement fait l'effet d'une bombe dans les milieux financiers, qui espèrent un mouvement de Nintendo dans cette direction depuis plusieurs années maintenant : l'espace de quelques heures - le temps qu'un porte-parole de l'entreprise rappelle la position de la maison-mère, l'action Nintendo avait repris quelques couleurs. Mais finalement, l'application Pokémon n'est qu'une application non seulement gratuite, mais en plus avec une expérience limitée. Un peu comme si chez Nintendo, on voulait prouver que les petits jeux sur mobiles ne servent finalement à rien !

Pourtant, la vie d'une entreprise est ainsi faite de coups de poker, d'expériences plus ou moins heureuses qui ont fait les crises d'hier et les succès d'aujourd'hui : on se souvient de la décision difficile prise par Sega de renoncer aux consoles de salon pour se concentrer sur la création de jeux sur les plateformes restantes. Nintendo, comme on l'a vu avec la DS et avec la Wii, a également besoin de se réinventer à chaque génération de machine. Mais une fois la console de salon dotée de HD et la 3DS d'une carte SIM, jusqu'où pourront aller les ingénieurs de la firme pour continuer à nous surprendre ? Par nature, le joueur se lasse assez vite et a toujours besoin d'être ébloui : c'est pourquoi la Wii, avec la détection de mouvement, a si bien démarré, c'est aussi pourquoi la DS, forte de jeux conçus pour séduire un large public, a soudain explosé.